Les livres philosophiques pour l’été, 3

Lectures pour l’été, 3—-
Voici quelques textes confirmants les idées modernes du néerlandais philosophe Baruch Spinoza:
—-PROPOSITION VII
L’effort par lequel toute chose tend a persévérer dans son etre n’est rien de plus que l’essence
actuelle de cette chose.
Démonstration : L’essence d’un etre quelconque étant donnée, il en résulte nécessairement
certaines choses (par la Propos. 36, partie 1) ; et tout etre ne peut rien de plus que ce qui suit
nécessairement de sa nature déterminée (par la Propos. 29, partie 1). Par conséquent, la
puissance d’une chose quelconque, ou l’effort par lequel elle agit ou tend a agir, seule ou avec
d’autres choses, en d’autres termes (par la Propos. 6, partie 3), la puissance d’une chose, ou
l’effort par lequel elle tend a persévérer dans son etre, n’est rien de plus que l’essence donnée ou
actuelle de cette chose. C. Q. F. D.
—-PROPOSITION VIII
L’effort par lequel toute chose tend a persévérer dans son etre n’enveloppe aucun temps fini, mais
un temps indéfini.
Démonstration : Si, en effet, il enveloppait un temps limité, qui déterminât la durée de la chose, il
s’ensuivrait de cette puissance meme par laquelle la chose existe, qu’apres un certain temps elle
ne pourrait plus exister et devrait etre détruite. Or, cela est absurde (par la Propos. 4, partie 3) ;
donc l’effort par lequel une chose existe n’enveloppe aucun temps déterminé ; mais, au contraire,
puisque cette chose (en vertu de cette meme Propos.), si elle n’est détruite par aucune cause
extérieure, devra, par cette meme puissance qui la fait etre, toujours continuer d’etre, il s’ensuit
que l’effort dont nous parlons enveloppe un temps indéfini. C. Q. F. D.
Source: Traduction d’Emile Saisset, éditions Charpentier, Paris, 1872.

—-Le Conatus…Terme latin, le Conatus est un concept central de la pensée de Spinoza : il décrit la capacité de l’etre a “persévérer dans son etre”. Il est ici traduit par “effort”. L’homme, a l’instar de la nature, est animé par le Conatus : il s’efforce d’augmenter sa puissance d’etre et de pensée. (Baruch Spinoza, Éthique
Partie III: De l’Origine et de la Nature des passions. Proposition VI, VII, et VIII.Traduction de E. Saisset, 1842.)

—-Seconde partie, Chapitre XVIII:
(1) Nous voyons maintenant que l’homme, en tant qu’il fait partie de la nature, dont il dépend
et par laquelle il est régi, ne peut rien par lui-meme pour son salut et pour son bonheur. Il
nous reste a apprendre de quelle utilité peuvent etre pour nous les affirmations précédentes,
et cela est d’autant plus nécessaire que nous savons bien qu’elles déplairont a un grand
nombre de personnes.
(2) 1° Il suit de la que nous sommes en vérité les serviteurs et les esclaves de Dieu, et que
c’est le plus grand bien pour nous qu’il en soit nécessairement ainsi. Car, si nous n’étions
dépendants que de nous-memes et non le Dieu, il y aurait bien peu de chose, ou meme rien,
que nous serions capables de bien faire, et nous nous tromperions sans cesse nous-memes,
a l’inverse de ce que nous voyons maintenant : en effet dépendant de l’etre le plus parfait, et
étant partie du Tout, c’est-a-dire de lui-meme, nous contribuons pour notre part a
l’accomplissement de tant d’oeuvres admirablement ordonnées et parfaites qui dépendent de
lui.
(3) 2° En second lieu, cette doctrine fera qu’apres l’accomplissement d’une bonne action,
nous n’en tirerons pas avantage avec présomption (laquelle présomption est cause que,
nous croyant quelque chose de grand comme si nous n’avions plus besoin de faire de
progres, nous restons au point ou nous sommes : ce qui est entierement contraire a l’idée de
notre perfection, qui consiste en ce que nous devons sans cesse nous efforcer de faire de
nouveaux progres) ; mais au contraire nous attribuons a Dieu toutes nos actions, comme a la
premiere et seule cause de tout ce que nous faisons et de tout ce que nous produisons.
(4) 3° Cette connaissance, en produisant en nous le véritable amour du prochain, fait que
nous n’avons jamais pour lui ni haine ni colere, et que nous désirons au contraire le secourir
et améliorer sa condition: ce qui est le propre des hommes qui ont atteint une haute
perfection ou essence. ( Baruch Spinoza Court Traité sur Dieu, l’homme et la béatitude.
(1660) Traduction de Paul Janet, 1878)

—-Chapitre III, Du Droit des Pouvoirs Souverains:
On peut en effet nous dire: est-ce que l’état social et l’obéissance que [l’État] requiert
de la part des sujets ne détruisent pas la religion qui nous oblige par rapport a Dieu ? A quoi
je réponds que si nous pesons bien la chose, tout scrupule disparaîtra. En effet, l’âme, en
tant qu’elle use de la raison, n’appartient pas aux pouvoirs souverains, mais elle s’appartient
a elle-meme (par l’article 11 du chapitre précédent). Par conséquent, la vraie connaissance
et l’amour de Dieu ne peuvent etre sous l’empire de qui que ce soit, pas plus que la charité
envers le prochain (par l’article 8 du meme chapitre); et si nous considérons, en outre, que le
véritable ouvrage de la charité, c’est de procurer le maintien de la paix et l’établissement de
la concorde, nous ne douterons pas que celui-la n’accomplisse véritablement son devoir qui
porte secours a chacun dans la mesure compatible avec les droits de l’État, c’est-a-dire avec
la concorde et la tranquillité. ( Baruch Spinoza Traité Politique. Traduction de E. Saisset, 1842.)

—-Partie II, De la Nature et de l’origine de l’Âme, Proposition XLIX, Scholie:

Notre systeme enseigne aussi comment il faut se comporter a l’égard des choses de
la fortune, je veux dire de celles qui ne sont pas en notre pouvoir, en d’autres termes, qui ne
résultent pas de notre nature ; il nous apprend a attendre et a supporter d’une âme égale
l’une et l’autre fortune ; toutes choses en effet résultent de l’éternel décret de Dieu avec une
absolue nécessité, comme il résulte de l’essence d’un triangle que ses trois angles soient
égaux en somme a deux droits. Un autre point de vue sous lequel notre systeme est encore
utile a la vie sociale, c’est qu’il apprend a etre exempt de haine et de mépris, a n’avoir pour
personne ni moquerie, ni envie, ni colere. Il apprend aussi a chacun a se contenter de ce
qu’il a et a venir au secours des autres, non par une vaine pitié de femme par préférence,
par superstition, mais par l’ordre seul de la raison, et en gardant l’exacte mesure que le
temps et la chose meme prescrivent. Voici enfin un dernier avantage de notre systeme, et
qui se rapporte a la société politique ; nous faisons profession de croire que l’objet du
gouvernement n’est pas de rendre les citoyens esclaves, mais de leur faire accomplir
librement les actions qui sont les meilleures. (Page de l’Éthique annotée par Jean-Paul Sartre, BNF.
Baruch Spinoza Ethique Traduction de E. Saisset, 1842.)

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